6/1/10

Les collines / Las colinas

Guillaume Apollinaire (1880-1918)


Au-dessus de Paris un jour
Combattaient deux grands avions
L’un était rouge et l’autre noir
Tandis qu’au zénith flamboyait
L’éternel avion solaire

L’un était toute ma jeunesse
Et l’autre c’était l’avenir
Ils se combattaient avec rage
Ainsi fit contre Lucifer
L’Archange aux ailes radieuses

Ainsi le calcul au problème
Ainsi la nuit contre le jour
Ainsi attaque ce que j’aime
Mon amour ainsi l’ouragan
Déracine l’arbre qui crie

Mais vois quelle douceur partout
Paris comme une jeune fille
S’éveille langoureusement
Secoue sa longue chevelure
Et chante sa belle chanson

Où donc est tombée ma jeunesse
Tu vois que flambe l’avenir
Sache que je parle aujourd’hui
Pour annoncer au monde entier
Qu’enfin est né l’art de prédire

Certains hommes sont des collines
Qui s’élèvent d’entre les hommes
Et voient au loin tout l’avenir
Mieux que s’il était le présent
Plus net que s’il était passé

Ornement des temps et des routes
Passe et dure sans t’arrêter
Laissons sibiler les serpents
En vain contre le vent du sud
Les Psylles et l’onde ont péri

Ordre des temps si les machines
Se prenaient enfin à penser
Sur les plages de pierreries
Des vagues d’or se briseraient
L’écume serait mère encore

Moins haut que l’homme vont les aigles
C’est lui qui fait la joie des mers
Comme il dissipe dans les airs
L’ombre et les spleens vertigineux
Par où l’esprit rejoint le songe

Voici le temps de la magie
Il s’en revient attendez-vous
À des milliards de prodiges
Qui n’ont fait naître aucune fable
Nul les ayant imaginés

Profondeurs de la conscience
On vous explorera demain
Et qui sait quels êtres vivants
Seront tirés de ces abîmes
Avec des univers entiers

Voici s’élever des prophètes
Comme au loin des collines bleues
Il sauront des choses précises
Comme croient savoir les savants
Et nous transporteront partout

La grande force est le désir
Et viens que je te baise au front
O légère comme une flamme
Dont tu as toute la souffrance
Toute l’ardeur et tout l’éclat

L’âge en vient on étudiera
Tout ce que c’est que de souffrir
Ce ne sera pas du courage
Ni même du renoncement
Ni tout ce que nous pouvons faire

On cherchera dans l’homme même
Beaucoup plus qu’on n’y a cherché
On scrutera sa volonté
Et quelle force naîtra d’elle
Sans machine et sans instrument

Les secourables mânes errent
Se compénétrant parmi nous
Depuis les temps qui nous rejoignent
Rien n’y finit rien n’y commence
Regarde la bague à ton doigt

Temps des déserts des carrefours
Temps des places et des collines
Je viens ici faire des tours
Où joue son rôle un talisman
Mort et plus subtil que la vie

Je me suis enfin détaché
De toutes choses naturelles
Je peux mourir mais non pécher
Et ce qu’on n’a jamais touché
Je l’ai touché je l’ai palpé

Et j’ai scruté tout ce que nul
Ne peut en rien imaginer
Et j’ai soupesé maintes fois
Même la vie impondérable
Je peux mourir en souriant

Bien souvent j’ai plané si haut
Si haut qu’adieu toutes les choses
Les étrangetés les fantômes
Et je ne veux plus admirer
Ce garçon qui mine l’effroi

Jeunesse adieu jasmin du temps
J’ai respiré ton frais parfum
A Rome sur des chars fleuris
Chargés de masques de guirlandes
Et des grelots du carnaval

Adieu jeunesse blanc Noël
Quand la vie n’était qu’une étoile
Dont je contemplais le reflet
Dans la mer Méditerranée
Plus nacrée que les météores

Duvetée comme un nid d’archanges
Ou la guirlande des nuages
Et plus lustrée que les halos
Émanations et splendeurs
Unique douceur harmonies

Je m’arrête pour regarder
Sur la pelouse incandescente
Un serpent erre c’est moi-même
Qui suis la flûte dont je joue
Et le fouet qui châtie les autres

Il vient un temps pour la souffrance
Il vient un temps pour la bonté
Jeunesse adieu voici le temps
Où l’on connaîtra l’avenir
Sans mourir de sa connaissance

C’est le temps de la grâce ardente
La volonté seule agira
Sept ans d’incroyables épreuves
L’homme se divinisera
Plus pur plus vif et plus savant

Il découvrira d’autres mondes
L’esprit languit comme les fleurs
Dont naissent les fruits savoureux
Que nous regarderons mûrir
Sur la colline ensoleillée.

Je dis ce qu’est au vrai la vie
Seul je pouvais chanter ainsi
Mes chants tombent comme des graines
Taisez-vous tous vous qui chantez
Ne mêlez pas l’ivraie au blé

Un vaisseau s’en vint dans le port
Un grand navire pavoisé
Mais nous n’y trouvâmes personne
Qu’une femme belle et vermeille
Elle y gisait assassinée

Une autre fois je mendiais
L’on ne me donna qu’une flamme
Dont je fus brûlé jusqu’aux lèvres
Et je ne pus dire merci
Torche que rien ne peut éteindre

Où dons es-tu mon ami
Qui rentrais si bien en toi-même
Qu’un abîme seul est resté
Où je me suis jeté moi-même
Jusqu’aux profondeurs incolores

Et j’entends revenir mes pas
Le long des sentiers que personne
N’a parcourus j’entends mes pas
À toute heure ils passent là-bas
Lents ou pressés ils vont ou viennent

Hivers toi qui te fais la barbe
Il neige et je suis malheureux
J’ai traversé le ciel splendide
Où la vie est une musique
Le sol est trop blanc pour mes yeux

Habituez-vous comme moi
À ces prodiges que j’annonce
À la bonté qui va régner
À la souffrance que j’endure
Et vous connaîtrez l’avenir

C’est de souffrance et de bonté
Que sera faite la beauté
Plus parfaite que n’était celle
Qui venait des proportions
Il neige et je brûle et je tremble

Maintenant je suis à ma table
J’écris ce que j’ai ressenti
Et ce que j’ai chanté là-haut
Un arbre élancé que balance
Le vent dont les cheveux s’envolent

Un chapeau haut de forme est sur
Une table chargée de fruits
Les gants sont morts près d’une pomme
Une dame se tord le cou
Auprès d’un monsieur qui s’avale

Le bal tournoie au fond du temps
J’ai tué le beau chef d’orchestre
Et je pèle pour mes amis
L’orange dont la saveur est
Un merveilleux feu d’artifice

Tous sont morts le maître d’hôtel
Leur verse un champagne irréel
Qui mousse comme un escargot
Ou comme un cerveau de poète
Tandis que chantait une rose

L’esclave tient une épée nue
Semblable aux sources et aux fleuves
Et chaque fois qu’elle s’abaisse
Un univers est éventré
Dont il sort des mondes nouveaux

Le chauffeur se tient au volant
Et chaque fois que sur la route
Il corne en passant le tournant
Il paraît à perte de vue
Un univers encore vierge

Et le tiers nombre c’est la dame
Elle monte dans l’ascenseur
Elle monte monte toujours
Et la lumière se déploie
Et ces clartés la transfigurent

Mais ce sont de petits secrets
Il en est d’autres plus profonds
Qui se dévoileront bientôt
Et feront de vous cent morceaux
À la pensée toujours unique

Mais pleure pleure et repleurons
Et soit que la lune soit pleine
Ou soit qu’elle n’ait qu’un croissant
Ah! pleure pleure et repleurons
Nous avons tant ri au soleil

Des bras d’or supportent la vie
Pénétrez le secret doré
Tout n’est qu’une flamme rapide
Que fleurit la rose adorable
Et d’où monte un parfum exquis


`

Por encima de París un día
combatían dos grandes aviones,
uno era rojo y negro el otro,
mientras en el cenit llameaba
el eterno avión solar.

Uno era toda mi juventud
y el otro era el porvenir.
Se combatían con fiereza,
como hizo contra Lucifer
el Arcángel de alas radiantes,

como el cálculo al problema,
como la noche contra el día;
como ataca a lo que yo amo
mi amor, tal como el huracán
desarraiga al árbol que grita.

Pero mira toda esta dulzura:
París como una jovencita
se despierta lánguidamente,
sacude su larga melena
y canta su bella canción.

Dónde ha ido pues mi juventud?
Ves que llamea el porvenir;
has de saber que yo hablo hoy
para anunciar al mundo entero
que al fin nació el arte de predecir.

Algunos hombres son colinas
que de entre los hombres se elevan
y ven todo el porvenir de lejos
mejor que si fuera el presente,
más claro que si hubiera pasado;

ornato del tiempo y las rutas,
pasa y dura sin detenerte.
Dejad sibilar a las serpientes
en vano contra el viento sur;
perecieron la onda y los psyllas.

Orden del tiempo: si las máquinas
a pensar por fin se pusieran,
en las playas de pedrerías
romperían olas de oro,
la espuma sería madre aún.

Menos alto que el hombre van las águilas;
es él quien da alegría a los mares
igual que disipa en los aires
las sombras y tedios vertiginosos
por donde al sueño se une el espíritu.

Este es el tiempo de la magia
que de nuevo se vuelve espera
por los millones de prodigios
que no dieron pie a ninguna fábula
ni nadie los ha imaginado.

Profundidades de la conciencia:
mañana seréis exploradas
y quién sabe qué seres vivos
se extraerán de esos abismos
junto a universos enteros.

Ahí se elevan los profetas
como a lo lejos colinas azules;
ellos sabrán cosas precisas,
como creen saber los sabios,
y nos transportarán a todas partes.

La mayor fuerza es el deseo
y ven que te bese en la frente,
oh ligera como una llama
pues tienes todo el sufrimiento,
todo el ardor y todo el brillo.

Llega la era en que se estudiará
todo lo que es del sufrir;
no será tanto del coraje
ni tampoco de la renuncia,
ni hacer todo lo que podamos.

Se buscará en el mismo hombre
más de lo que se ha buscado;
se escrutará su voluntad
y qué fuerza nacerá en ella
sin máquina y sin instrumento.

Los compasivos manes vagan
confundiéndose entre nosotros
desde que a nosotros se unieron;
nada acaba y nada comienza:
observa el anillo en tu dedo.

Tiempo de encrucijadas y desiertos,
tiempo de plazas y colinas;
vengo aquí para hacer un truco
utilizando un talismán
muerto y más sutil que la vida.

Yo me he desprendido por fin
de todas las cosas naturales;
puedo morir mas no pecar
y lo que jamás ha sido tocado,
yo lo he tocado y lo he palpado.

Y yo he escrutado lo que nadie
puede siquiera imaginar
y sopesado incontables veces
también la vida imponderable;
puedo morir sonriendo.

A menudo he planeado tan alto,
tanto, que adiós a todas las cosas,
las rarezas y los fantasmas,
y no he de seguir admirando
al chico con cara de miedo.

Juventud, adiós, jazmín del tiempo.
Respiré tu fresco perfume
en Roma, en los carros floridos
cargados de máscaras, guirnaldas
y cammpanillas de carnaval.

Adiós juventud, Navidad blanca,
cuando la vida era sólo una estrella
cuyo reflejo yo contemplaba
sobre el mar Mediterráneo,
más nacarado que los meteoros,

plumoso cual nido de arcángeles
o la guirnalda de las nubes
y más lustroso que los halos,
emanaciones y esplendores,
única suavidad, armonías.

Me detengo para observar:
sobre el césped incandescente
vaga una serpiente: soy yo mismo
que soy la flauta en la que toco
y el látigo que a otros castiga.

Llega un tiempo de sufrimiento,
llega el tiempo de la bondad.
Juventud, adiós; será el tiempo
de conocer el porvenir
y no morir al conocerlo.

El tiempo es de la gracia ardiente.
Logrará la voluntad sola
siete años de increíbles pruebas,;
se divinizará el hombre,
más puro, más vivo y más sabio.

Él descubrirá otros mundos;
languidece el espíritu, cual flores
de las que nacen sabrosas frutas
que observaremos madurar
sobre la soleada colina.

Yo digo qué es en verdad la vida;
sólo yo podría cantar así.
Mis cantos caen como granos;
callad todos los que cantáis,
no mezcléis la cizaña y el trigo.

Un barco llegó al puerto,
un gran navío engalanado;
pero a nadie en él encontramos
más que una mujer bella y roja,
yacía allí asesinada.

En otra ocasión mendigaba,
me dieron tan sólo una llama
que me abrasó hasta los labios
y no pude ni dar las gracias;
antorcha que nada puede apagar.

Dónde estás entonces amigo mío
que te metías tanto en ti mismo
que una sima sola ha quedado
a la que me lancé yo mismo
hasta la profundidad incolora.

Oigo regresar a mis pasos
a través de sendas que nadie
ha recorrido; oigo mis pasos,
a todas horas pasan por ahí,
lentos o raudos, van o vienen.

Invierno, tú que te diviertes,
nieva y me siento desdichado;
he cruzado el espléndido cielo
donde la vida es una música,
y el suelo harto blanco a mis ojos.

Acostumbraos, tal como yo,
a estos prodigios que anuncio,
a la bondad que reinará,
al sufrimiento que soporto,
y conoceréis el porvenir.

Será de sufrimiento y bondad
de lo que se hará la belleza,
más perfecta de lo que era
la que procede de las proporciones.
Nieva y yo ardo y me estremezco.

Ahora estoy en mi mesa,
escribo lo experimentado
y lo que allá arriba canté;
un alto árbol que balancea
el viento y cuyos cabellos se elevan.

Hay un sombrero de copa encima
de una mesa llena de frutas,
guantes muertos junto a la manzana;
una dama se retuerce el cuello
ante un señor que se devora.

Rueda el baile al fondo del tiempo;
maté al guapo director de orquesta
y mondo para mis amigos
la naranja de maravilloso
sabor de fuegos artificiales.

Todos han muerto; el mayordomo
les sirve un champán irreal
que espumea como un caracol
o un cerebro de poeta
mientras cantaba a una rosa.

El esclavo sostiene una espada,
semejante a las fuentes y ríos,
que de cada vez que desciende
es destripado un universo
del que salen mundos nuevos.

El conductor sostiene el volante
y cada vez que en la carretera
pita al tomar una curva
parece que se pierde de vista
un universo aún virgen.

Y el tercer número es la dama;
ella sube en el ascensor,
ella sube, sube siempre,
y la luz se despliega, y estas
claridades la transfiguran.

Mas estos son pequeños secretos;
existen otros más profundos
que muy pronto se revelarán
y os convertirán en cien pedazos
del pensamiento siempre único.

Mas llora, llora y relloremos
y tanto si esté llena la luna
como no sea más que un cruasán,
ah! llora, llora y relloremos;
nos hemos reído tanto al sol.

Brazos de oro soportan la vida.
Penetra al dorado secreto:
todo no es más una llama rápida
que florece a la rosa adorable
y exhala un aroma exquisito.

___
Nota: cruasán: Bollo de hojaldre en forma de media luna. (DRAE) manes: En la Antigüedad grecorromana, almas o sombras benéficas de los muertos. psyllas: Pueblo que vivía en la actual Libia, cuyos integrantes tenían fama de expertos encantadores de serpientes. De ellos cuenta Herodoto que, encolerizados con el viento sur porque había desecado sus tierras, decidieron ir a la guerra contra él para que les devolviera el agua que les había quitado; el viento del desierto sepultó al ejército de los psyllas bajo una gigantesca duna sin que ninguno de ellos sobreviviera. sibiler: Neologismo formado a partir de sybille, sibila (de donde sybillin, sibilino), mujer adivina entre los antiguos griegos, y del latin sibilāre, silbar (de donde sibilante); sisear como una sibila.

No hay comentarios:

Publicar un comentario